Le milieu interstellaire, c’est l’espace entre les étoiles, trop éloigné pour y envoyer des sondes. On l’étudie en réalisant des observations et en les interprétant. Puis on confirme ces interprétations à l’aide d’expériences ou de simulations en laboratoire.
Comment détecter les molécules présentes dans le milieu interstellaire ?
L’objectif du projet Collexism, porté par François Lique à l’Institut de physique de Rennes (CNRS/Université de Rennes) est de développer une approche théorique pour interpréter les observations du milieu interstellaire. Ces observations consistent à détecter chaque molécule chimique qui compose ce milieu, à partir du rayonnement qu’elle renvoie.
Pour qu'une molécule émette un rayonnement, elle doit être excitée. Deux processus peuvent y conduire :
- l’absorption du rayonnement d’une étoile ou d’un objet brillant, qui sera ensuite réémis par la molécule ;
- une collision entre deux molécules, où une partie de l’énergie cinétique est transférée en énergie interne puis réémise sous forme de rayonnement.
C’est précisément sur l’étude de ce processus de collision, et du transfert d’énergie qui en résulte, que se concentre l’équipe Collexism. Ses calculs sont nécessaires pour comprendre la composition du milieu interstellaire, les réactions qui s’y déroulent et prédire l’évolution de ce milieu. En effet, les collisions entre molécules peuvent parfois donner naissance à de nouvelles molécules !
Ces mécanismes non seulement jouent à plein dans la formation des étoiles et des planètes, mais ils sont aussi à l’origine des molécules biologiques telles que les acides aminés, composants de l’ADN.
Des collisions au centre des observations
Le milieu interstellaire est un espace peu dense et composé très majoritairement de gaz. Il s’agit principalement d’atomes d’hydrogène (H), d’hélium (He) et en moindre quantité de carbone (C), de soufre (S), d’oxygène (O) et d’azote (N), sans exclure la présence d’autres éléments qui n’auraient pas encore été découverts.
L’équipe Collexism étudie deux sortes de collisions : les « inélastiques », où l’on observe que des échanges d’énergie, sans destruction ni formation d’une nouvelle molécule, et les « réactives », qui jouent un rôle important dans la chimie interstellaire. Elles peuvent en effet être détruites lors des collisions et former de nouvelles espèces chimiques plus complexes. Par exemple, une collision entre les molécules OH+ et H2 peut casser OH+ pour former la molécule H2O+. Lors d’une collision, il peut y avoir compétition entre des collisions inélastiques et réactives, mais celle-ci n’aboutira qu’à un seul de ces processus.
Un recensement plus complet des molécules qui composent le milieu interstellaire
L’innovation de Collexism est de prendre en compte cette compétition entre collisions inélastiques et réactives. Habituellement, les recherches se focalisent sur l’une ou l’autre de ces processus. L’une des premières étapes à franchir afin d’étudier la contribution des molécules dites réactives à l’évolution du milieu interstellaire, c’est de connaître leur abondance par rapport aux autres molécules. Autrement dit, l’équipe Collexism vise à un recensement plus complet et plus précis de la composition chimique du milieu interstellaire.
« Prouver que les éléments biologiques proviennent du milieu interstellaire amènerait l’idée que la Terre n’est pas une exception. »
Vers des moyens informatiques plus performants
L’équipe de François LIQUE travaille sur des « méthodes approchées » qui se basent, notamment, sur une approche statistique. Malheureusement, ces méthodes nécessitent des moyens informatiques lourds et des compétences de pointe en programmation. Grâce au soutien du Conseil européen de la recherche (ERC) sous la forme d’une bourse dite « consolidator » de près de deux millions d’euros, l’équipe a pu être renforcée par des chercheurs spécialistes en calcul intensif pour optimiser, développer et moderniser ses outils.
« L’ERC apporte beaucoup d’exposition et d’attractivité. Nous sommes plus facilement sollicités pour collaborer avec d’autres personnes. Grâce à l’ERC nous avons les moyens de collaborer avec des personnes dans le monde entier. »
Des calculs théoriques validés par des expériences
La nouvelle approche élaborée par l’équipe de Collexism est validée par des expériences. Les chercheurs ont en effet collaboré avec leurs collègues expérimentateurs du département de physique moléculaire à l’Institut Physique de Rennes (IPR). Ces derniers possèdent des dispositifs expérimentaux permettant de reproduire des collisions et des réactions dans des conditions similaires au milieu interstellaire. Les mesures réalisées à l’IPR permettent de confirmer (ou parfois d’invalider !) les calculs et études réalisés par l’équipe de François Lique. Ce travail liant théorie et expérimentation a beaucoup plus d’impact qu’un travail théorique seul.
Ces méthodes et outils sont de nouvelles approches théoriques potentielles pour des applications dans d’autres domaines. Une partie des résultats de l’ERC est notamment utilisée pour étudier les atmosphères des comètes dans le cadre d’une chaire de recherche de Rennes Métropole dédiée à ce sujet.
« Le financement d’un projet de recherche par l’ERC est ce qu’il y a de plus difficile à obtenir en science actuellement. C’est un financement prestigieux et reconnu qui met un vrai coup de boost à nos recherches. J’ai déjà obtenu des prix mais leur impact, comparé à l’obtention d’une ERC, est négligeable. »
Ce sujet a été réalisé par la direction de la communication avec le concours de Cécile Launay (Plume & Sciences, rédaction).