De l'intuition à l'étude scientifique [Amélie Catala]
L’idée de cette étude précise est venue à l’occasion de stages de formation des futurs chiens d’assistance à destination des personnes épileptiques.
L'odeur : un marqueur d'intérêt de l'hypoglycémie, mais aussi de l'épilepsie ?
Jennifer Cattet, formatrice pour l'association Handi’Chiens et docteur en éthologie, nous a expliqué la façon dont elle entraîne les chiens dans sa structure aux Etats Unis. Au départ, il s'agissait d'entraîner des chiens d’assistance pour les personnes diabétiques, pour lesquelles on sait que l’odeur est un marqueur d’intérêt.
Elle a eu l’idée d’essayer le même protocole, basé sur la discrimination d’odeur, mais pour des personnes épileptiques. L’odeur d’hypoglycémie a « simplement » été remplacée par une possible odeur de crise d’épilepsie. En parallèle, Jennifer Cattet notait la réaction des chiens. Son intuition semblant fonctionner, elle a développé de manière empirique sa spécialité de chiens pour les personnes épileptiques, qu’elle enseigne maintenant aux éducateurs d’Handi’Chiens.
Des anecdotes intriguantes
D'autre part, ces mêmes éducateurs d'Handi'Chiens m’avaient fait remonter des anecdotes intéressantes : par exemple, celle d’un chien qui présentait des comportements particuliers, ce qui alertait son propriétaire avant la crise. Et ce chien avait aussi fait de même vis-à-vis de crises d’une autre personne que son propriétaire. À ce stade, on ignore toujours si c'est la vision, l'ouïe ou l'odorat du chien qui sont en jeu dans ces comportements d'alerte. Cependant, au vu des expériences de Jennifer Cattet, il semblait intéressant de tester l’hypothèse que les chiens répondaient à une odeur de crise.
Une constation à rebours du consensus scientifique
Il faut savoir que jusqu'à cette publication, la communauté scientifique n'envisageait pas qu’il puisse exister une « signature » de crise, c’est-à-dire des composants olfactifs communs à plusieurs patients, émis au moment précis de la crise, voire quelque temps avant.
Nous avons donc, avec Jennifer Cattet, testé si les chiens pouvaient nous renseigner sur l’existence éventuelle d’une odeur émise durant la crise.
Protocole transatlantique
Avec l’aide de Jean-Luc Schaff, alors neurologue à l’OHS de Flavigny, ainsi que de l’équipe soignante de l’établissement, des odeurs ont été collectées sur des compresses de coton stérile sur la paume des mains, la nuque, le front, puis l’haleine de cinq patientes participantes. Pour chacune, nous récupérions plusieurs types d’odeur : des odeurs prises à distance des crises à des jours différents, de façon à représenter la variabilité, des odeurs prises juste après un effort physique modéré, pour représenter les mouvements et un changement d’état physiologique, et enfin des odeurs prises pendant ou juste après une crise.
Sitôt ces échantillons récupérés, je les ai envoyés aux Etats-Unis à Jennifer Cattet pour qu’elle réalise les tests. Cinq chiens formés par ses soins ont participé à cette tâche de discrimination, sans qu’ils n’aient jamais été en contact avec ces odeurs auparavant.
Concrètement, sept pots contenant des odeurs étaient présentés dans une pièce, que le chien pouvait explorer comme il le souhaitait. Un seul pot contenait une odeur de crise, les six autres contenaient des odeurs résultant d'une activité sportive, ou prises, au calme, sur des jours différents.
Des résultats impressionnants
Jennifer Cattet m’a fait parvenir les fichiers vidéo des tests filmés et, dès les premiers visionnages, nous avions l’impression que les chiens trouvaient très facilement l’odeur de crise au milieu des autres, et ce qu’elle que soit sa position relative.
L'impression s’est confirmée au travers de l’analyse puisque tous les chiens ont trouvé l’odeur de crise dès le 1er essai. En particulier, trois chiens étaient à 100% de succès dans tous les essais ! De plus, ils parvenaient à identifier l’odeur de crise quelle que soit la personne dont elle provenait, alors que l’épilepsie se caractérise par une large variabilité dans ses causes et symptômes (on parle même d’"épilepsies", au pluriel).
Quelques mois plus tard, l’article était fin prêt à être soumis au journal Scientific Reports, et il n’en a fallu que quelques-uns de plus pour qu’il soit accepté pour publication. Ces chiens, recueillis dans des refuges, nous ont donc offert une première preuve que les crises d’épilepsie sont associées à un profil d’odeur spécifique.
Genèse et montage de l'étude [Marine Grandgeorge]
Cette aventure est la claire démonstration que derrière un titre de publication, il y a des êtres humains, de belles relations et un objectif commun, celui de répondre à des enjeux sociétaux majeurs en alliant la recherche appliquée et fondamentale. J’espère sincèrement que ce partenariat entre les acteurs professionnels et les scientifiques, mais aussi les patients et leurs familles, et ce grâce au soutien de différents partenaires, se continuera et permettra d’autres belles avancées.
Premier projet dédié à l'autisme, premier succès
Tout a commencé à Brest en décembre 2012, lors d’un congrès que j’avais organisé. Martine Hausberger, directrice de recherche CNRS au laboratoire Ethos, était l'une des deux conférencières plénières. Marie-Claude Lebret était invitée pour présenter les actions de l’association Handi’chiens dont elle est la fondatrice.
À ce moment-là, au-delà d’une rencontre professionnelle, c’est une rencontre humaine qui a eu lieu avec une profonde envie de travailler ensemble. Un premier projet de 4 ans s'est conclu sur une publication dans la revue Scientific Reports en août 2017 : nous avons pu montrer qu’il était important que les enfants présentant un trouble déficit de l'attention (TDA) puissent être davantage acteurs de leurs échanges lors de séances de médiation.
Poursuite de la collaboration, sur l'épilepsie
En 2016, Marie-Claude Lebret présente à Martine Hausberger une des nouvelles orientations de l’association, l’éducation de chiens d’assistance pour les personnes atteintes d'épilepsie. L’envie de continuer de travailler ensemble est toujours présente, mon récent recrutement en tant que maître de conférences en éthologie au laboratoire Ethos est une excellente opportunité. Et ce d’autant plus qu’un de nos collègues, Hugo Cousillas, professeur des universités et spécialisé en neuro-éthologie, serait un apport important sur la recherche.
Montage, financement et recrutement
Nous avons ensuite lancé les étapes classiques de toute nouvelle recherche : revue de la littérature, formulation de problématique et d’hypothèses, montage de dossier pour soutenir le projet. L’université de Rennes 1 nous a suivis via un financement d’un an dans le cadre des appels à projets émergents. Parallèlement, la Fondation Adrienne & Pierre Sommer nous a également soutenus.
Enfin, après étude de nombreuses candidatures, c’est Amélie Catala, tout juste diplômée du master 2 "neuroscience, comportement, cognition" de l’université de Toulouse, qui a retenu toute notre attention. Sur examen de son dossier, l’ANRT a donné son accord, sésame pour un financer le doctorat via une convention CIFRE, en l'occurrence un partenariat entre EthoS, notre laboratoire, et l'association Handi'Chiens.
Tout s'est lancé officiellement en janvier 2017 : il aura fallu plus de deux ans de travail pour mener cette étude à bien.
Référence
Dogs demonstrate the existence of an epileptic seizure odour in humans
Amélie Catala, Marine Grandgeorge, Jean-Luc Schaff, Hugo Cousillas, Martine Hausberger, Jennifer Cattet
Scientific Reports, 28 mars 2019