Les matériaux vitreux sont cassants, sensibles aux agressions mécaniques de suface (indentations, rayures). Dans ce cadre, le projet DAMREG (pour DAMage REsistant Glasses) s’est organisé en deux phases :
- Exploration : quels sont les facteurs responsables de la fragilité des verres, et comment peut-on les contrer ?
- Développement : mettre au point des matériaux qui neutralisent ces facteurs de fragilité, et détourner la sollicitation mécanique vers des fonctions innovantes.
« Une fois la nouvelle de notre sélection connue, nous avons demandé à décaler le départ du projet de six mois. Pendant chaque semaine de cette période, mes collègues et moi avons discuté des pistes que nous allions précisément retenir, afin d'identifier les thématiques les plus prometteuses et de rechercher un positionnement aussi original et conforme au caractère ambitieux de l'appel d'offre. Nous avons retenu deux axes de recherche. »
Couplage mécano-optique
Est-il possible, en plaçant le verre sous contrainte mécanique, de générer un champ optique (lui faire émettre de la lumière) ? À l’inverse, en éclairant un verre, peut-on affecter son comportement mécanique ? À Rennes, Tanguy Rouxel et ses collègues sont déjà parvenus de cette manière à rendre un matériau plus fluide : on parle de photo-fluidité.
Couplage mécano-électrique
Peut-on générer un champ électrique en sollicitant mécaniquement un matériau vitreux ? Et réciproquement : en appliquant un champ électrique, obtient-on une réponse mécanique ? C’est l’une des récentes découvertes du projet (voir ci-dessous « Effet flash »).
« Ces axes visent à susciter des percées en recherche fondamentale, et en cela ils respectent le cadre posé par le Conseil européen de la recherche. Mais je ne perds jamais de vue la possibilité d’application, l’amélioration de technologies industrielles existantes. J’estime que le projet doit aussi pouvoir répondre à un besoin précis de la société, ou tout au moins viser cette réponse. »
L’utilisation des crédits de l’ERC
« Avec les doctorants dont les thèses sont financées sur les crédits européens du projet, nous avons commencé le travail sur la phase 2. Mais 3 ans, c’est court, et je cherche à poursuivre au-delà », précise Tanguy Rouxel.
La subvention ERC allouée à Tanguy Rouxel pour son projet DAMREG a permis de financer une décharge partielle des obligations d’enseignement de deux professeurs et de deux maîtres de conférences universitaires de l’Institut de physique de Rennes. Pour chacune des phases du projet, deux étudiants en thèse ont été recrutés, épaulés par un jeune chercheur en contrat postdoctoral. Comme il n’était pas facile de trouver une compétence dans le domaine du projet, qui associe des compétences très pointues en physique, en chimie et en ingénierie, un cinquième doctorant a même été recruté, le temps que le postdoctorant soit identifié.
Quant à l’équipement, ce n’est pas le plus gros poste du budget puisqu’il représente environ 300 000 euros, principalement sous la forme d’une platine expérimentale dotée d’une caméra ultrasensible.
L’effet flash, une découverte permise par le projet DAMREG
Prenez un dessous de plat en verre dans le tiroir de votre cuisine, et appuyez dessus : même si c’est imperceptible, il se déforme puis reprend ses dimensions lorsque vous relâchez votre pression. Le verre est élastique à température ambiante. Au-delà d’une certaine température (500 °C pour le verre à vitre), soumis à la même pression, votre objet s’écraserait de manière définitive : c’est l’écoulement.
Tentons une expérience : plaçons un petit bloc de verre de quelques millimètres de côté dans un four, sur une platine. Chauffons-le à plus de 500 °C et faisons peser sur le verre une charge d’environ 40 à 50 kg. Le matériau se déforme lentement, mais perceptiblement sur plusieurs jours.
Si maintenant nous le faisons traverser par un champ électrique important (équivalant à quelques centaines de volts par centimètre), la viscosité du verre chute brusquement et l’écoulement est 50 fois plus rapide, et cela ne résulte pas d'un échauffement par effet Joule. À ce niveau de champ électrique critique, le verre se met à éclairer à l’intérieur du four, il ne s'agit pas d'un arc électrique : c’est l’effet flash !
Cet effet a été décrit par Pierre Mézeix, en thèse financée sur les crédits du projet DAMREG.
« On ne comprend pas encore complètement à quoi c'est dû. Comment joue la composition du verre ? On pense qu’il y a un rapport avec la conduction d’électrons, et que les déplacements de charge sont facilités par la nature des cations (verres à constantes diélectriques élevées). Nous allons le vérifier grâce à un jeune docteur actuellement ATER dans l'équipe. Voilà une activité exotique, qui a émergé en étudiant les couplages mécano-électriques avec le projet ERC, en lien avec le travail du laboratoire sur la conception de verres à propriétés mécaniques spécifiques. Et c’est typiquement une découverte qui peut avoir un intérêt industriel : elle peut faciliter la mise en forme des objets en la rendant plus rapide, par l’application simple d’un champ électrique. »
Outre la portée de ses travaux auprès de ses pairs et de grands industriels européens ou japonais, Tanguy Rouxel veille également à faire connaître sa démarche au grand public : l’exposition « Ruptures » qui s’est tenue en 2014 au Palais de la découverte à Paris, reposait sur l'expérience acquise en étudiant le comportement mécanique des matériaux et des structures, et plus récemment sur les recherches développées par DAMREG.