3 caractéristiques-clés
Les cours dispensés par Simon Cornée aux étudiants de licence et de master de l'université de Rennes 1 portent aussi bien sur la gouvernance d'entreprise et l'ingénierie financière, que sur la finance solidaire ou encore la microfinance. À l'Université libre de Bruxelles, son enseignement porte spécifiquement sur la banque solidaire (social bank).
Pour ses recherches en tant que membre du CREM, Simon Cornée s'est intéressé à la banque solidaire. Pour distinguer cette dernière des autres types de banque (coopérative ou commerciale), l'enseignant-chercheur met en avant trois caractéristiques :
- la communauté de valeurs, car épargnants et emprunteurs d'une banque solidaires partagent des valeurs éthiques (préservation de l'environnement, solidarité sociale...) ;
- la transparence, car une banque solidaire se cantonne à des opérations bancaires et financières simples, ce qui permet de rendre intelligible son fonctionnement à ses différentes parties prenantes, notamment ses épargnants et ses investisseurs. Par ailleurs, un établissement de ce type s'oblige à rendre des comptes sur ses activités de prêt et d'investissement ;
- la gouvernance, qui met en œuvre le principe d' "une personne une voix", en se fixant des objectifs de rentabilité à moyen terme limités par rapport aux établissements commerciaux, tout en pratiquant une distribution des profits orientée vers les utilisateurs des services bancaires, qui sont aussi les propriétaires de la banque.
2 concepts primordiaux : valeurs éthiques et réciprocité
Le fonctionnement particulier d'une banque solidaire repose sur le partage de valeurs éthiques entre l'épargnant, la banque et l'emprunteur.
- L'épargnant accepte une rémunération moindre de son argent, pourvu que la banque s'en serve pour soutenir des projets en accord avec les valeurs éthiques qu'il défend (touchant à la solidarité sociale, au développement durable et à la préservation de l'environnement, au droit au crédit...). On a là une relation de réciprocité indirecte ;
- La banque de son côté, face à un emprunteur potentiel, prend en compte ces valeurs dans l'étude du projet présenté et du taux qu'elle propose, au lieu de se baser uniquement sur des critères économiques et financiers. En retour l'emprunteur, qui se voit accorder des conditions de prêt plus proches de ses attentes, s'attache davantage à honorer ses remboursements, en raison des valeurs qu'il partage lui-même avec la banque : la réciprocité est directe dans ce cas.
Valeurs éthiques et réciprocité sont donc deux concepts qui jouent à plein dans le fonctionnement des banques solidaires.
Des résultats éclairants, de la relation individuelle à l'échelle européenne
Simon Cornée étudie l'articulation de ces deux concepts-clés à trois échelles :
- à l'échelle micro, Simon Cornée et ses collègues ont mené une étude comportementale d'économie expérimentale simulant un scénario d'accords de crédit successifs, avec proposition de taux d'intérêt, entre chargés de clientèle et emprunteurs. Cette étude a été menée avec des étudiants et des chargés de clientèle de banques commerciales comme de banques solidaires. Elle a été réalisée au sein du LabEx-em du CREM, une salle équipée d’ordinateurs en réseau qui permet d’isoler les participants de façon à garantir l’anonymat des décisions. En l'occurrence, les participants devaient participer sur ordinateur à un jeu de crédit rémunéré, le LabEx-em permettant de mener des expériences et des évaluations sur les choix et comportements individuels ou de groupe. Résultat de cette étude : les étudiants et les banquiers conventionnels tendent à tirer profit de leur pouvoir de négociation en augmentant le taux d'intérêt proposé au fil du temps, tandis que les banquiers solidaires administrent des taux d'intérêts relativement stables ;
- à l'échelle intermédiaire, Simon Cornée et ses collègues ont pu étudier un échantillon de 400 prêts accordés par une banque solidaire sur une période de 4 ans. Ils ont pu vérifier que le taux d'intérêt fixé dépend de critères classiques mais aussi éthiques et sociaux, qui mesurent la proximité de valeurs entre la banque et l'emprunteur. Quand celle-ci est forte, la banque propose un taux plus favorable, et en retour l'emprunteur réagit en remboursant mieux la banque ;
- à l'échelle macro, l'enseignant-chercheur participe actuellement à une analyse d'environ 6 500 établissements bancaires de différents types en Europe (commerciaux, coopératifs, solidaires) sur une période de 10 ans. Avec ses collègues, il a d'ores et déjà obtenu trois résultats provisoires :
- Une large proportion des revenus des banques solidaires provient de leur activité de collecte de fonds et d'octroi de crédits. Elles sont ainsi plus fidèles que leurs homologues aux principes traditionnels d'intermédiation, les banques des autres types recourant davantage aux activités de marché ;
- La rémunération des épargnants et des investisseurs (exigence de rentabilité) est plus faible dans les banques solidaires que dans les autres types d'établissement, banques commerciales notamment.
- Les banques solidaires ont une probabilité plus forte de se trouver en excès de liquidité, c'est à dire qu'elles ne trouvent pas suffisamment d'emprunteurs susceptibles d'utiliser leurs fonds. Tandis que ces banques attirent facilement de nouveaux épargnants grâce à leurs pratiques exemplaires, elles rencontrent des difficultés à transformer cette épargne en crédits. Il semble que les projets à la fois compatibles avec leurs valeurs et soutenables soient trop rares.
Ce dernier point pose question dans la mesure où les difficultés d’accès au capital représentent un des freins majeurs au développement du secteur de l’économie sociale et solidaire.
La résolution de ce paradoxe est cruciale, l’économie sociale et solidaire étant appelée à jouer un rôle de plus en plus important dans l’économie et la société.