Une eau remarquable, des caractéristiques partiellement expliquées
À Plancoët, on embouteille la seule "eau minérale naturelle" de Bretagne. Cette appellation, concédée depuis 1928, impose que la composition de l'eau commercialisée ne varie pas dans le temps. Or la teneur en nitrates de l'eau de Plancoët demeure effectivement indétectable. Comment expliquer cette situation exceptionnelle ? Est-elle durable ?
Les exploitants de la source disposaient de quelques pistes pour répondre à cette question cruciale pour leur activité :
- toute exploitation agricole est interdite autour de la source sur un périmètre de 96 hectares protégé, partiellement depuis les années 30, totalement depuis 1970 ;
- le tertre de Brandefer est une colline de 80 mètres d'altitude dominant le paysage avoisinant, relativement préservée des écoulements provenant des terres agricoles environnantes ;
- l'eau commercialisée est prélevée à plus d'une centaine de mètres de profondeur ;
- au sommet de la colline se trouve une ancienne carrière d'une roche particulière, la phtanite, unique en Bretagne. Agirait-elle comme un filtre anti-nitrates des eaux de pluie ?
Ces pistes donnaient des idées intéressantes pour expliquer la qualité de l'eau de Plancoët, mais restaient trop incertaines, vu les enjeux économiques et environnementaux pour la commune et pour les industriels. Si la composition de l'eau de Plancoët venait à se modifier, entraînant la perte de l'appellation "eau minérale naturelle", on imagine facilement le risque de perte d'activité et d'emplois sur la commune.
Une étude complète sur 5 ans
Aussi, pour mieux connaître leur site de production, les exploitants de la source ont-ils commandité une étude auprès d’une unité de recherche de l’université de Rennes 1 spécialisée dans la biodiversité et la gestion des territoires, actuellement dirigée par Frédéric Ysnel, professeur à l’université. Le travail devait porter principalement sur l’étude de la biodiversité du tertre, remarquablement préservée par les mesures de protection de la source, ainsi que sur la valorisation du site auprès des habitants.
Mais la richesse de la biodiversité dépend de l'état du sol, qui lui-même est lié au sous-sol et bien sûr à la circulation de l'eau à travers l'ensemble. Bientôt, les biologistes sont rejoints par des pédologues (spécialistes du sol) et par des hydrogéologues qui vont scruter le cheminement des eaux souterraines et de surface, avec le soutien de la Région Bretagne, du Département des Côtes-d’Armor et des acteurs locaux (Mairie de Plancoët, Cœur-Émeraude…). Ce sont finalement près de 40 chercheurs et d'étudiants de Rennes 1 et d’Agrocampus Ouest qui scruteront le tertre de Brandefer pendant 5 ans. Et leurs conclusions apportent un éclairage nouveau.
Des résultats éclairants
Pour commencer, la phtanite, cette roche particulière au sommet du tertre, n'est pas le filtre miracle que l'on pensait. Si l'eau de Plancoët est si préservée, c'est d’abord que les captages recueillent à 80% de l'eau ancienne, quasi vierge de nitrates car présente en profondeur depuis plus de 50 ans, et moins de 15% d'eau de surface. De plus, grâce à l'absence d'activités agricoles sur le tertre, cette eau récente présente des taux de nitrates faibles à très faibles (<10 mg/l à proximité des points de captage) par rapport à ce qui est mesuré aux alentours (très variables mais pouvant atteindre 120 mg/l). En outre, dans sa migration vers les eaux souterraines, l’eau de surface traverse des zones d’activité biogéochimique importante, susceptible d’affaiblir encore sa teneur en nitrates. Ainsi, en rejoignant les eaux souterraines plus anciennes, les écoulements de surface ne viennent pas modifier de manière détectable la composition relevée dans les captages de l'eau commercialisée.
Ensuite, le tertre présente une variété de sols remarquable, avec 20 types répertoriés. Marécageux dans la vallée, ou très bien drainés au sommet du tertre, juste au-dessus de la couche de phtanite, ils favorisent la croissance d'une grande diversité de végétaux (245 espèces).
Enfin et surtout, l'ensemble crée une variété d'habitats propice au développement d'une riche biodiversité (près de 900 espèces inventoriées dont 800 pour les seuls invertébrés), constituant un écosystème particulièrement complet. Certaines espèces présentes sur le site ont disparu partout ailleurs en Bretagne depuis les années 50. Les chercheurs ont ainsi qualifié le tertre de Brandefer « d'îlot exceptionnel de biodiversité ordinaire ».
La biodiversité du site témoigne indirectement de la qualité de l'eau puisée en profondeur. Sa préservation est aussi garante de cette qualité. En effet, pour paraphraser les conclusions des hydrogéologues, le système du Tertre n'est pas exempt de liens avec les écoulements de surface ; il reste de ce fait vulnérable et doit être suivi et particulièrement protégé.
Pour les exploitants de la source, mais aussi pour la population et le territoire, la biodiversité à Brandefer représente un remarquable patrimoine à valoriser, dans ses dimensions économiques comme sociétales. Ainsi, un projet associant les scientifiques et l'école publique de Plancoët a-t-il donné naissance à un ensemble de 8 panneaux actuellement implantés en bordure d'un sentier pédagogique, inauguré le 12 juin 2015.
Inauguration
Pour les exploitants de la source, mais aussi pour la population et le territoire, la biodiversité à Brandefer représente un remarquable patrimoine à valoriser, dans ses dimensions économiques comme sociétales. Ainsi, un projet associant les scientifiques et l'école publique de Plancoët a-t-il donné naissance à un ensemble de 8 panneaux actuellement implantés en bordure d'un sentier pédagogique, inauguré le 12 juin 2015.
Historique
En 2009, l'exploitant de la source contacte le professeur Lefeuvre, alors membre émérite d'une unité de l’université de Rennes 1 spécialisée dans l'étude de la biodiversité et de la gestion des territoires. L'enseignant-chercheur avait déjà suivi les efforts de Nestlé Waters dans les années 1990 pour effacer les nitrates de l'eau de Vittel : il avait alors fallu réformer profondément les pratiques agricoles et les infrastructures de gestion de l'eau autour de la ville.
Alors dirigée par Alain Canard, professeur à l’université, l’unité « biodiversité et gestion des territoires » de Rennes 1 s’était dotée des compétences lui permettant de répondre à des demandes d’étude de la part de la société civile. Un important programme de recherche de plusieurs années est alors défini, puis étendu au travers d'un Contrat Nature régional territorial. En effet, sur le tertre la qualité de l'eau va de pair avec une très riche biodiversité. Les espèces animales et végétales n'y ont rien d'exceptionnel, mais leur variété est remarquable par rapport aux milieux agricoles environnants, considérablement appauvris.
L'intention des scientifiques et des acteurs du projet est à la fois de mieux connaître ce qui se passe sur le site de Brandefer, mais aussi de faire valoir auprès des habitants tout l'intérêt de ce milieu préservé, dans un souci de partage de la culture scientifique : des sociologues s'intéressent à la perception du tertre par les habitants, tandis que des actions pédagogiques sont mises en place en partenariat avec l’école publique de Plancoët.
Enfin, les résultats de l'étude sont restitués au public au travers d'une présentation vulgarisée et pédagogique mise gratuitement à la disposition du public par les chercheurs (lien de téléchargement en regard de cet article).
Partenaires
- Institutionnels
La Région Bretagne, la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement de Bretagne, le Département des Côtes d’Armor, la Commune de Plancoët, la Société des Eaux Minérales Naturelles de Plancoët, Cœur-Emeraude, l’association de préfiguration du Parc Naturel régional rance Cote d’Emeraude, l’Office de tourisme de Plancoët et l’Ecole primaire publique de Plancoët.
- Académiques
L'université de Rennes 1 et Agrocampus Ouest