Le chien européen actuel viendrait surtout de l'Est

L’étude de 72 génomes de loups anciens révèle que le chien européen possède une double ascendance, la principale étant située quelque part en Eurasie orientale. Comment l'expliquer ? Un consortium international de chercheurs, auquel une biologiste rennaise a participé, propose plusieurs hypothèses. Publication dans Nature (29 juin 2022).
Crédit : Jessica Rae Peto

Même s’il est maintenant établi que l’ancêtre du chien est le loup, son origine a provoqué de multiples débats au cours de l’histoire des sciences. Darwin lui-même pensait qu’il existait plusieurs ancêtres du chien et, aujourd’hui encore, le dialogue entre archéologues, éthologistes ou encore naturalistes reste ouvert.

La date de sa domestication a aussi fait l’objet de controverse, le doute ayant été alimenté par l’existence de nombreux squelettes de loups anciens, retrouvés en Europe comme en Sibérie, et présentant diverses caractéristiques physiques et physiologiques similaires au chien actuel (comme la taille du corps ou du crâne). 

Le chien est une sous-espèce de Canis lupus (Loup gris). En d’autres mots, il provient d’une lignée de loups qui s’est différenciée génétiquement il y a environ 28 000 ans. En cause : la domestication du loup par l’être humain, pour l’usage de la chasse, à une époque où ni l’agriculture ni l’élevage n’existent, faisant du loup la première espèce, et la seule qui ait été domestiquée par l’Homme avant le Néolithique.

Pour retracer l’histoire biologique du chien, il est donc nécessaire de s’intéresser à l’évolution du loup dans l’ensemble de l’Eurasie (associant l’Europe et l’Asie) et en Amérique du Nord. Pourquoi uniquement dans ces régions ? Parce que le loup est une espèce holarctique : elle est répandue sur tout l’hémisphère nord. On ne trouve d’ailleurs pas de loup dans l’hémisphère sud.

Retracer l’ascendance du chien grâce à la génétique

Pour résoudre le mystère de l’ascendance du chien, un consortium international de scientifiques a séquencé et regroupé 72 génomes de loups anciens couvrant les 100 000 dernières années. Objectif : analyser les taux d’hybridation et les brassages génétiques pour comprendre les changements populationnels. En les comparant avec des génomes de chiens publiés dans des études antérieures, ces travaux mettent en lumière la répartition géographique des loups au cours de ces derniers milliers d’années, permettant ainsi de découvrir les zones de domestication à l’origine du chien.

Dans le cadre de ces travaux, un échantillon provenant de fouilles à Noyen-sur-Seine (env. 8 600 ans) a été fourni par Morgane Ollivier, maître de conférences à l’Université de Rennes 1 et membre du laboratoire ECOBIO (CNRS/Université de Rennes 1 - OSUR), qui en a également extrait le génome conjointement avec l’équipe de Greger Larson de l'Université d’Oxford. La provenance de cet échantillon avait la particularité d’être énigmatique... entre chien et loup. Le séquençage réalisé dans le cadre de cette étude a finalement montré qu’il provenait d’un loup ancien.

Crédit photo: K. Debue, AASPE, CNRS © K. Debue, AASPE, CNRS

L’analyse de l’ensemble des génomes montre que les chiens actuels sont plus étroitement liés aux loups anciens de l’Eurasie orientale qu’à ceux de l’Ouest (Europe) et qu’ils auraient divergé génétiquement il y a probablement 18 à 28 000 ans. Environ deux tiers du patrimoine génétique des chiens actuels d’Europe aurait donc une origine asiatique, contre seulement un tiers provenant des loups anciens d’Eurasie de l’Ouest.

L’explication viendrait de la migration des loups de Sibérie à travers l’Eurasie, après le dernier maximum glaciaire, il y a approximativement 21 000 ans. Ces loups, après avoir migré, se seraient mélangés avec les populations locales, provoquant ainsi des hybridations.

Une zone de domestication à l’Ouest ?

Les loups de l’Eurasie de l’Est paraissent de ce fait avoir quasi exclusivement contribué à l’ascendance des premiers chiens en Sibérie, dans les Amériques, en Asie de l’Est et en Europe du Nord-Est, ayant comme source une lignée vivant en dehors des régions européennes.

L’hypothèse d’une zone de domestication des loups à l’Ouest semblerait alors devoir être écartée. Cependant, le patrimoine génétique des loups d’Afrique et du Proche-Orient, ancêtres des premiers chiens de ces mêmes régions, présente une similarité importante (de 20 à 60%) avec des génomes situés en Eurasie de l’Ouest.

L’origine du chien reste donc encore mystérieuse et pourrait résulter soit de :

  • deux processus de domestication indépendants à l’Est et à l’Ouest, les deux populations se mélangeant par la suite lors de la migration Est-Ouest ;
  • une seule domestication à l’Est, suivie d’hybridations avec des loups de l’Ouest.

Ainsi, l’origine du chien n’est-elle pas encore tout à fait élucidée : les scientifiques n’ont pas encore identifié les lignées exactes de loups qui devaient aboutir aux chiens actuels, ni le nombre d’évènements de domestication.

L’adaptation canine face à l’évolution humaine

Si Morgane Ollivier a été contactée par le consortium dans le cadre de ses travaux sur l’histoire génétique du chien, c’est parce que sa recherche actuelle se focalise sur l’influence de l’apparition de l’agriculture sur la biologie du chien.

L’enseignante-chercheuse coordonne un programme d’étude qui vise, grâce à l’analyse de l’ADN extrait à partir d’os, de dents et de coprolithes, à reconstruire les régimes alimentaires et les états de santé des chiens pour étudier leurs adaptations en fonction de la chronologie et du contexte culturel. L’ADN leur permet également de reconstituer les génomes de ces chiens anciens pour mieux connaître leurs origines et replacer chaque individu dans le contexte évolutif, ce qui pourrait aussi servir à la compréhension du processus de domestication.

Avec ses collègues, Morgane Ollivier est déjà parvenue à prouver que l’apparition du contexte agricole a provoqué des modifications du microbiote, du squelette (mandibules, crâne…), mais a aussi participé au déplacement du chien sur la chaîne alimentaire : les chercheurs ont découvert que, nourri des restes de ses maîtres, le chien est passé de carnivore à omnivore dans certaines localités étudiées en raison d’un régime enrichi en amidon. Ce projet (nommé CROC !) est également soutenu par l’Université de Rennes 1.

Référence

Gray wolf genomic history reveals a dual ancestry of dogs
Anders Bergström, Pontus Skoglund, et al.
(2022) Nature | doi:10.1038/s41586-022-04824-9