LabCom LITIS : faire progresser la médecine par la structuration et l'étude du Big Data en santé

Optimiser et intégrer des sources très diverses de données de santé afin de mettre au jour des enseignements précieux en matière de médecine et de santé publique, de manière sécurisée et respectueuse des droits du patient : c'est l'ambition de LITIS. Financé par l'ANR, ce LabCom inauguré le 26 septembre 2019 associe l'Université de Rennes 1, l'Inserm et le CHU de Rennes à la société Enovacom.
Interface de l'entrepôt de données eHOP - ©CHU de Rennes

Intégrer les données massives de santé, un défi

Marc Cuggia est médecin, professeur d'informatique médicale à l'Université de Rennes 1 et praticien hospitalier au CHU de Rennes. Il est responsable de l'équipe projet "Données massives en santé" du Laboratoire de traitement du signal et de l'image (LTSI) et de l'unité "Fouilles de données" au CHU de Rennes. Pour le professeur :

Le paradigme global est que nous devons décloisonner, mettre en relation les bases de données de santé pour servir les objets de recherche, permettre des découvertes qui doivent retourner aux soins, dans des outils d'aide à la décision.

Mais beaucoup de travail reste à produire pour que des algorithmes d'intelligence artificielle puissent réellement être mis au point à partir des données massives de santé. Cette étape doit être franchie pour que l'on puisse générer des nouvelles connaissances capables servir le système de soin, les études et les politiques de santé publique. En effet les données de santé présentent, suivant leur source, des caractéristiques très hétérogènes.

Jugez plutôt. Il existe :

  • les données hospitalières qui portent sur toutes les spécialités médicales cliniques, radiologique, biologiques et génomiques. Ce sont des données codées, textuelles, d’images ou des signaux comme les électrocardiogrammes. Ces données sont très riches mais, au-delà de la diversité de leur nature, elles proviennent de logiciels très différents destinés avant tout aux soins. Elles sont encore très peu réutilisées pour la recherche ou l'innovation, et leur périmètre géographique d'obtention est restreint ;
  • très riches également et de couverture nationale, les bases de données telles que le SNIIRAM renseigné par l'assurance maladie (patients, consultations, ordonnances...) ou le CépicDC (causes médicales de décès). En revanche, ces bases nationales de contiennent pas le détail de ce qui s'est passé au cours de l'hospitalisation des patients ;
  • en plein développement, les données de santé connectée produites par des appareils ambulatoires doivent pouvoir rejoindre l'écosystème ;
  • les données de recherche telles que les cohortes, registres épidémiologiques et les données d’essais cliniques. On assiste à un mouvement d’ouverture de ce type de données (Open Science) qui permet non seulement de vérifier la qualité des publications, mais aussi de réutiliser ces données pour de nouvelles recherches ;
  • enfin, de plus en plus d’équipes scientifiques exploitent les données du web et des réseaux sociaux tels que twitter ou facebook pour la recherche médicale. Les scientifiques rennais travaillent en étroite collaboration avec une équipe de l’université de Boston sur ces sujets.

Un premier succès : eHop

L'équipe projet "Données massives en santé" du LTSI rennais s'est focalisée sur les données générées à l'hôpital. Elle a développé une technologie d'entrepôt de données qui permet d'exploiter cet immense gisement d'information. L'entrepôt de données de l'hôpital de Rennes (eHOP) a été créé en 2015. Il est opérationnel sur le CHU de la métropole rennaise et cette technologie issue du LTSI a maintenant essaimé dans huit établissements au sein du réseau hospitalier HUGO du Grand Ouest.

La base au coeur d'eHOP regroupe l'ensemble des données numérisées des dossiers des patients passés par l'hôpital, recueillies via le dossier patient informatisé. Interrogée selon des procédures très strictes par les professionnels de santé, elle permet aujourd'hui d'étudier la faisabilité d'une étude clinique en un temps record. Elle a facilité le lancement de plus de 250 études à ce jour touchant des sujets tels que la détection d'événements indésirables liés aux médicaments, la surveillance des épidémies de grippe, une meilleure compréhension des prises en charge à l'hôpital ou encore la détection de maladies rares.

Les possibilités d'usage de ces données sont très larges. Il s'agit pour l'équipe de les encadrer dans le strict respect de règles éthiques, déontologiques et respectueuses des droits des patients.

eHop est le fruit de recherches qui ont la particularité, outre leur caractère collaboratif national et international, de passer outre les murs de l'hôpital (CHU de Rennes), de l'Université (de Rennes 1), du laboratoire de recherche (LTSI) et de l'entreprise (ENOVACOM). Si côté universitaire et laboratoire, on développe la machinerie, l'hôpital met en place un guichet unique grâce au Centre de données cliniques, tandis que la société ENOVACOM, filiale d'Orange Business Services, apporte son expertise logicielle pour l’échange et le partage sécurisé des données de santé.

Aujourd'hui, les différents entrepôts eHop du Grand Ouest regroupent plus d'1,3 milliards de données structurées correspondant aux soins prodigués à 5 millions de patients, d'où l'attention portée à la sécurisation, à la conservation et à la protection de la base. Début 2020, une plateforme interrégionale pour le traitement des données de santé devrait voir le jour, son pilotage étant assuré par le Groupement de Coopération Sanitaire HUGO qui rassemble et anime la coopération entre les hôpitaux universitaires du Grand Ouest, les deux centres de lutte contre le cancer de l’interrégion ainsi que des établissements non universitaires.

Cette plateforme s’appuiera également sur des innovations issues des travaux conjoints menés au LTSI et au CHU de Rennes.

À l'échelle nationale, l'heure est plus que jamais à l'interconnexion et l'intégration des plateformes de données de santé, avec la mise en place du Health Data Hub par le ministère des Solidarités et de la Santé. Marc Cuggia a d'ailleurs contribué à sa préfiguration.

Émergence du LITIS

C'est en continuité de ces efforts de recherche décloisonnés que naît en 2017 le laboratoire commun LITIS (pour Laboratoire d'interopérabilité, de traitement et d'intégration des données massives en Santé), labellisé et financé par l'ANR avec l'accompagnement de la SATT Ouest Valorisation. Il associe l'Université de Rennes 1, le LTSI dont l'Université est co-tutelle avec l'Inserm, le CHU de Rennes et la société ENOVACOM, autrement dit les partenaires qui étaient déjà à l'oeuvre sur eHOP.

L'objectif d'ensemble reste le même : constuire les plateformes big data santé, orientées vers la médecine dite "4P" (personnalisée, prédictive, participative, préventive).

Trois cas d'usage sont considérés :

  • mieux identifier les patients atteints d'un type précis d'insuffisance cardiaque. L'ambition est de trouver, depuis l'imagerie, des biomarqueurs d'intérêt permettant de déterminer le risque de décompensation pour le patient et dégager des profils basés sur la génétique, prenant en compte les co-morbidités, les profils biologiques et génotypiques ;
  • collecter et exploiter des données massives de signaux physiologiques dans les unités de réanimation, en particulier en néonatalogie. Ici l'objectif est d'identifier à partir de ces signaux des marqueurs prédictifs d'événements pathologiques comme le risque d'infection, ou l'élévation de toxines. Le couplage de ces données avec celles de l'entrepôt eHOP permet le suivi dans le temps des nouveaux-nés et permet d’evaluer l’impact de ces biomarqueurs sur la prise en charge ultérieure de ces enfants ;
  • connecter et coupler l’entrepôt de données eHOP aux systèmes d’archivage des images. L’objectif est d’enrichir les images avec les données cliniques des patients afin d’optimiser les algorithmes d’intelligence artificielle qui seront entraînés sur ces données pour pour repérer des signatures, des marqueurs pouvant être prédictifs. Tout le flux d'alimentation et de transformation de la donnée est à mettre en place.
© UR1/DirCom/JLB

Statut de la donnée de santé

Le statut des données de santé a évolué dans le cadre de la loi Santé votée en juillet 2019.

Ainsi, toutes les données de santé, dès lors qu'elles ont été financées par la solidarité nationale, sont un bien public et rejoignent un dispositif technique et réglementaire unifié : le Système National des Données de Santé. Ce statut permettra de faciliter d’une part les appariements des différentes sources de données et la réutilisation de ces données à des fins d’innovation et de recherche.

Pour autant, compte tenu de la sensibilité des données de santé, il ne s'agit pas d' « open data » pouvant être ouvertes à tous. Au contraire, le principe est celui du partage, mais à des acteurs précis, selon des modalités précises et dans le cadre de projets dont la finalité est d’interêt public.

Les patients (c’est à dire potentiellement chacun d’entre nous) peuvent s'opposer à ce que leurs données médicales soient utilisées à fins de recherches ou à être recontactés par exemple pour participer à un essai clinique. Les patients ont également un droit de rectification des données.

De manière systématique, les données sont dé-identifiées, c’est-à-dire que l’on retire les éléments permettant de ré-identifier les patients. En effet, ce qui intéresse les chercheurs cliniciens concerne avant tout la compréhension des mécanismes physiopathologiques, l’effet d’un traitement ou la performance d’une technique diagnostique ou pronostique. C’est pourquoi l'équipe "Données massives en santé" du LTSI associe systématiquement les cliniciens aux travaux sur les donnée : à la fois pour poser les bonnes questions et pour interpréter de manière pertinente les résultats d’une recherche.

Dans ce contexte, la mise en place du Health Data Hub national par le ministère de la Santé correspond vient accélérer le domaine de la recherche sur données médicales. Ce Hub est une plateforme technique qui permettra de faciliter l’intégration et le partage des différentes sources de données de santé, mais aussi à l’accès à l’expertise nécessaire à leur exploitation. Il faut ainsi voir le Hub comme un carrefour qui stimule la recherche et accélère l’innovation sur le partage et l'expertise des données.

Inauguration du LabCom LITIS

L’évènement officiel d'inauguration du LabCom LITIS s'est déroulé sur le campus santé de l'Université de Rennes 1 le 26 septembre 2019 en présence de David Alis, président de l’Université de Rennes 1, Véronique Anatole-Touzet, directrice générale du centre hospitalier de Rennes (CHU) et Pierre Desouffron, chargé de projets scientifiques en charge du programme Labcom à l’Agence nationale de la recherche.