On ne sait pas (encore) arpenter l’espace interstellaire. Or, nos télescopes nous permettent déjà des observations assez fines des nuages de gaz et de particules présents entre les étoiles. Mais pour comprendre leur chimie, impossible de partir y analyser des prélèvements.
« L’espace interstellaire est extrêmement froid. La matière y est très rare, et soumise à un rayonnement intense provenant des étoiles. Ce rayonnement a tendance à casser toute molécule un peu complexe qui pourrait se former, lorsque d’aventure des atomes viennent à se rencontrer et à réagir entre eux », explique Ian Sims.
Et pourtant, même dans ce milieu très hostile, des réactions chimiques se déroulent, qui nous sont forcément mal connues. Pour les étudier, la première étape consiste à reproduire les conditions où elles ont lieu, à commencer par la très basse température.
« L’un des défis consiste à pouvoir analyser en même temps les différents produits de réaction, notamment pour pouvoir déterminer leur proportion », souligne Ian Sims.
Affectation des fonds ERC
Le projet CRESUCHIRP porté par Ian Sims a remporté un financement de 2,1 millions d’euros de l’ERC sur 5 ans, précisément pour réaliser un dispositif expérimental capable de déterminer cette proportion de produits de réaction.
Outre la machine, dont le coût de construction est estimé à 700 000 euros, le financement ERC permet de dégager temporairement Ian Sims d'une partie de ses obligations d’enseignement, et de recruter des doctorants et des postdoctorants sur le sujet.
« Le dossier a certainement été retenu sur la base de nos résultats antérieurs et de nos collaborations internationales. Mais la capacité du pôle mécanique de l’université à réaliser une partie des pièces uniques qui composeront cette machine a également joué », se félicite Ian Sims.
Le « chirped pulse » : l’innovation au cœur du projet
Pour détecter les molécules produites par les réactions chimiques dans le caisson, il faut les soumettre à une impulsion (« pulse ») d’une fréquence très précise. Si la fréquence est parfaitement ajustée à la molécule, celle-ci résonne, et c’est cette résonance qui est détectable. L’une des limitations de cette technique est qu’elle ne permet la détection que d’une molécule, et donc d’un seul produit de réaction à la fois : ceux-ci ont une durée de vie très courte.
Ian Sims va donc utiliser la technique du chirped pulse, qui balaie en quelques centaines de nanosecondes une large gamme de fréquences de manière continue. Toutes les molécules sensible à l’une ou l’autre des fréquences couvertes par ce balayage résonnent alors, ce qui permet une détection quasi simultanée, compatible avec la durée de vie très brève des produits de réaction.
À l’issue du projet, c’est donc un dispositif tout à fait unique au monde qui sera à l’œuvre dans les locaux de l’Institut de physique de Rennes.
« Une fois achevée, cette machine nous permettra de contraindre les modèles des astrophysiciens, et ainsi d’en savoir plus sur ce qui se passe entre les étoiles, dans les nuages de gaz et de poussières interstellaires, ou dans les atmosphères d’autres planètes », indique Ian Sims.