Fini les écouvillons ? Détection réussie de virus respiratoires sur mouchoirs usagés

Des médecins et scientifiques rennais ont testé avec succès la détection de génomes viraux respiratoires sur mouchoirs usagés, en utilisant l’équipement standard des laboratoires d’analyses médicales. Ils ont testé des mouchoirs recueillis sur des durées allant jusqu’à un an en collectif (crèche, école) et auprès de volontaires individuels. Un brevet a été déposé avant l’élargissement des tests à plus grande échelle. Publication dans Emerging Infectious Diseases (mars 2023).
Analyse de mouchoirs usagés pour la détection des virus respiratoires - Image UR/DirCom/JLB

Une innovation basée sur les progrès de la biologie moléculaire

L'idée a germé en 2018 dans l'esprit de Vincent Thibault, professeur à l'Université de Rennes, chef du laboratoire de virologie du CHU de Rennes, chercheur à l'Irset... et admirateur des exploits de la police scientifique.

Si aujourd'hui les enquêteurs parviennent à détecter des fragments d'ADN sur des prélèvements vieux de plusieurs années, pourquoi ne serait-il pas possible de déceler des génomes de virus respiratoires sur des mouchoirs usagés, vieux de quelques jours ?

Si cette technique est envisageable, c'est grâce aux immenses progrès des analyses automatisées de biologie moléculaire, maintenant d'usage courant dans les laboratoires d'analyses médicales, tels que celui que dirige le Pr Thibault au CHU de Rennes.

Pour tester la faisabilité de cette méthode, le médecin-chercheur a mobilisé une équipe qui a mené deux approches complémentaires.

Une méthode testée en collectivité...

Elle a commencé par expérimenter une approche collective, à partir de mouchoirs recueillis chaque semaine dans la crèche du CHU de Rennes et en école primaire sur de longues durées (un an pour la crèche). Pour des raisons éthiques, chaque analyse hebdomadaire était effectuée en une fois sur l'ensemble des mouchoirs d'une classe entière ou d'une section de la crèche. Cette technique, dite "pooling", permet de détecter la présence d'un virus dans un groupe, sans désigner pouvoir remonter à un individu en particulier.

Résultat : un suivi complet, semaine par semaine, de la circulation des principaux virus respiratoires chez les enfants, avec en prime une détection très précoce de l'épidémie de grippe, puisque le virus est apparu dans cette crèche 6 semaines avant que le pic grippal de 2019 soit atteint en France métropolitaine.

Circulation virale du rhinovirus et du virus de la grippe dans la crèche du CHU de Rennes [extrait] Chaque croix correspond à la détection d'un génome viral par l'analyse groupée de l'ensemble des mouchoirs usagés recueillis, chaque vendredi, auprès du groupe d'enfants concerné. © D'après G. Lagathu et al.

... puis de manière individuelle

Devant le succès de cette approche collective, l'équipe a recruté 30 volontaires atteints de symptômes respiratoires variés pour vérifier la sensibilité de la détection, mais de manière individuelle cette fois-ci.

Au moment où la publication dans Emerging Infectious Diseases a été envoyée pour relecture, sur 22 mouchoirs utilisables, 2 s'étaient révélés négatifs. Depuis les tests continuent, et à ce jour (13 avril 2023), sur plus de 50 tests, l'équipe a relevé 3 négatifs.

La fiabilité de la méthode a également été éprouvée en sélectionnant 15 de ces volontaires, atteints par le SARS-CoV-2, le virus responsable de la COVID19. Chacune de ces personnes a été testée positive par la méthode standard : écouvillonnage nasopharyngé puis analyse par RT-PCR. Et le même jour, ces mêmes personnes ont fourni un mouchoir usagé testé selon la nouvelle méthode.

Tous les mouchoirs ont permis de détecter le SARS-CoV-2, et pour deux tiers d'entre eux, de manière plus tranchée que par la RT-PCR (il a fallu moins de cycles à la machine de diagnostic pour détecter le signal du génome viral). Là encore, les test continuent et confirment la tendance.

Alors, fini les écouvillons ?

Les mouchoirs testés ont été pour certains envoyés par courrier, conservés plusieurs jours et jusqu'à 6 mois à température ambiante : le génome viral y est resté détectable.

Ces résultats très prometteurs restent à confirmer par d'autres études qui porteront sur des populations plus larges. Déjà, d'autres équipes ont publié des résultats qui confirment la faisabilité générale de cette approche (détection réussie de virus sur d'anciennes cassettes de tests antigéniques par exemple).

Cette approche a ses limites : les personnes doivent être capables de se moucher correctement, et le travail en laboratoire d'analyse est un peu plus important, puisqu'il faut y réaliser l'extraction, réalisée à domicile dans le cas des écouvillons.

Il reste permis d'imaginer dans un avenir proche un dépistage simplifié des infections à virus respiratoires : si les résultats de l'étude sont confirmés, on pourra se moucher, conditionner le mouchoir en sachet et l'expédier ou le remettre à un laboratoire pour analyse, avec la même fiabilité qu'un écouvillonnage... et sans les inconvénients de cette méthode ressentie comme désagréable, notamment par les enfants.

Mon souhait est que cette étude et mon procédé permettent de réduire la consommation d’antibiotiques dans la population générale. Ce serait mon vœu le plus cher !

Pr. Vincent Thibault

Références

Using Discarded Facial Tissues to Monitor and Diagnose Viral Respiratory Infections
Gisele Lagathu, Claire Grolhier, Juliette Besombes, Anne Maillard, Pauline Comacle, Charlotte Pronier, Vincent Thibault
Emerg Infect Dis. 2023;29(3):511-518 | doi:10.3201/eid2903.221416

Autres articles démontrant la possibilité de détecter des génomes viraux sur des tests antigéniques usagés même après plusieurs mois de stockage :

Nazario-Toole A et al.
    Sequencing SARS-CoV-2 from antigen tests
PLOS ONE. févr 2022;17(2):e0263794.

Macori G et al.
    Inactivation and Recovery of High Quality RNA From Positive SARS-CoV-2 Rapid Antigen Tests Suitable for Whole Virus Genome Sequencing
Frontiers in Public Health. 2022;10.

Martin GE et al. [8 days – real life, self-collected device: 42+/65]
    Maintaining genomic surveillance using whole-genome sequencing of SARS-CoV-2 from rapid antigen test devices.
The Lancet Infectious Diseases. 1 oct 2022;22(10):1417 8.

Rector A et al.
    Sequencing directly from antigen-detection rapid diagnostic tests in Belgium, 2022: a gamechanger in genomic surveillance? Eurosurveillance. 2 mars 2023;28(9):2200618.