Épilepsie : un premier traitement inadapté compromettrait l'efficacité des suivants

Les crises d'épilepsies ne sont pas, en très grande majorité, des urgences vitales. Après un premier épisode épileptique chez un enfant, une étude conduite par des chercheurs rennais laisse penser qu'il est capital de prendre le temps de vérifier l'adéquation optimale du médicament administré et du type de crise observé. En effet, un traitement mal adapté semble pouvoir impacter définitivement l'évolution future de la maladie. L'étude préclinique, menée chez la souris, est publiée dans la revue Epilepsia (août 2018).
EEG haute résolution - Unité Van Gogh du CHU de Rennes

À l'origine de cette étude : le cas de deux vrais jumeaux

La réflexion qui a lancé cette étude a émergé de l’histoire de jumeaux monozygotes qui ont tous deux développé la même maladie épileptique au cours de leur enfance.

Au cours du temps, l’un a présenté un contrôle de la maladie lui permettant de mener une vie normale à l’âge adulte. Le second n’a pas suivi le même parcours : aujourd’hui encore, il présente des symptômes altérant significativement sa qualité de vie.

Ce qui distingue ces deux frères ? Ils avaient reçu un premier antiépileptique différent après leur diagnostic : le premier avait reçu un traitement adapté, tandis que le jumeau allant moins bien avait reçu un traitement inadéquat. D’où l’idée de développer un modèle expérimental permettant d’établir si le premier traitement initié peut influencer le devenir à long terme de la maladie.

Le contexte

Il existe une cinquantaine de formes d'épilepsie et plusieurs dizaines de médicaments antiépileptiques : certains sont efficaces sur plusieurs formes de maladie, tandis que d’autres sont spécifiques d’une seule. Utilisés à mauvais escient, ceux-ci aggravent parfois la fréquence ou la durée des crises, ou même le type de crise.

Une erreur de traitement initial peut-elle avoir un effet durable sur l’évolution de la maladie ? C'est une possibilité dont il faut tenir compte, si l’on en croit les résultats de l’étude préclinique, conduite à Rennes (Irset, LTSI, CHU) par Jodi L. Pawluski avec la collaboration de chercheurs grenoblois, et encadrée par Benoît Martin, chercheur CNRS au LTSI.

Le protocole

Les chercheurs ont travaillé chez la souris, avec des souriceaux présentant des épilepsies absences, une forme de la maladie qui touche 7 enfants sur 10 000. Les souriceaux de l'étude ont été traités par différents médicaments durant deux semaines.

Certains ont reçu un anti-épileptique classiquement utilisé pour ce type d’épilepsie : un anti-épileptique à large spectre (valproate de sodium - VPA), ou bien un autre médicament qui agit spécifiquement sur les épilepsies absences (éthosuximide - ESM). Un autre groupe de souriceaux a reçu un traitement antiépileptique connu pour être inadapté dans la prise en charge de cette forme d'épilepsie précise (vigabatrine - VGB). Enfin, un groupe "contrôle" a été traité au sérum physiologique (PHY), sans effet sur l'épilepsie.

À l’issue de ces deux semaines, l’anti-épileptique à large spectre (valproate de sodium - VPA) a été administré à toutes les souris, qui ont été suivies 6 semaines de plus.
Sur l'ensemble du protocole, l'activité électroencéphalographique des quatre groupes de souris a été enregistrée à 5 reprises (EEG).

© J. Pawluski, B. Martin et al.

Les résultats

Le résultat a été clair : les souris traitées dès le départ par un antiépileptique adapté (VPA ou ESM) ont présenté une diminution progressive du nombre de crises.
En revanche, celles qui avaient d'abord reçu le traitement inapproprié (VGB) ont continué à présenter une activité épileptique élevée, malgré l’introduction par la suite d’un traitement adapté (VPA).

© J. Pawluski, B. Martin et al.

Ceci soutient l’hypothèse que le premier traitement antiépileptique reçu après le diagnostic de la maladie peut avoir un impact sur son évolution.

"Ce résultat pourrait être particulièrement pertinent pour la prise en charge de l'épilepsie chez les enfants : en effet nous avons observé le phénomène sur des cerveaux en cours de développement", soulignent les co-auteurs Arnaud Biraben, médecin neurologue au CHU de Rennes et Benoît Martin.

Invitation à la prudence

Si la démonstration qui vient d’être apportée chez la souris conforte la pertinence de l’hypothèse, il reste évidemment à compléter ces données par d’autres études, reconnaît le neurobiologiste Benoît Martin.

« Nous sommes en train d’évaluer si un résultat similaire peut être observé chez des souris adultes, afin d’apprécier dans quelle mesure le médicament influence le développement du cerveau. Le fait que le cerveau soit en cours de maturation est peut-être déterminant. Par ailleurs, nous travaillons aussi à évaluer si, en utilisant en seconde intention, un antiépileptique à action plus spécifique, il serait possible d’améliorer le pronostic au long cours associé à un mauvais traitement initial. Nous étudions également les éventuelles conséquences du traitement initial sur le fonctionnement cérébral en dehors des crises. En effet, les conséquences négatives induites par le traitement aggravant est persistant après son remplacement par un traitement adapté : l’hypothèse d’une modification physiologique définitive est donc possible. Cette modification pourrait avoir des conséquences sur d’autres fonctions cérébrales ».

Dans l’attente de ces résultats, cette première preuve de concept doit inviter à une attitude de prudence.

« Hormis celles durant plusieurs minutes, les crises d’épilepsie ne constituent pas une urgence médicale, si ce n’est de sécuriser les patients pour éviter qu’ils ne se blessent. A la suite d’une première crise, il faudrait prendre le temps de s’assurer que les patients soient systématiquement adressés à un service ou un praticien expert, afin de conduire toutes les explorations nécessaires pour établir le diagnostic le plus précis et le plus exact possible, et de mettre en place, dès le début, le traitement le plus adapté à la forme d'épilepsie du patient ».

C’est la position qui est actuellement adoptée aux Etats-Unis, où les épileptologues plaident pour la création d’« instituts de la première crise » : des services qui seraient spécialement dédiés à l’accueil des patients chez lesquels une maladie épileptique est suspectée.

En France, les futures recommandations concernant les parcours de soins pour une personne présentant une première crise, spécifieront que le patient consulte un spécialiste et qu'une investigation EEG soit réalisée dans un délai maximal de 15 jours suivant cette crise.

[Cet article remanie et enrichit le texte d'une actualité de l'Inserm]

Référence

Long-term negative impact of an inappropriate first antiepileptic medication on the efficacy of a second antiepileptic medication in mice
Pawluski JL, Kuchenbuch M, Hadjadj S, Dieuset G, Costet N, Vercueil L, Biraben A, Martin B

Epilepsia 2018 Jul;59(7):e109-e113. DOI: 10.1111/epi.14454