Coronavirus : ce qu'on sait et qu'on ignore du SARS-CoV-2, avec le Pr Vincent Thibault, virologue

« Rester humbles face à un virus et à une maladie encore largement énigmatiques ». À l'heure où se profile le déconfinement en France, quelle connaissance a-t-on pu construire de ce virus ? Avec quelle précision peut-on décrire sa transmission ? Comment le dépister et le contrer ? Entretien avec Vincent Thibault, professeur à l'Université de Rennes 1, chef du service de virologie du CHU de Rennes et responsable du laboratoire qui réalise les tests de dépistage du SARS-CoV-2.
Vincent Thibault dans le laboratoire de virologie du CHU de Rennes - Photo T. Bregardis/Ouest-France 28.02.2019

[Entretien publié le 30 avril 2020]

Q. - Bonjour Professeur Vincent Thibault, merci beaucoup d’avoir consacré du temps à cet entretien. Quel est votre regard sur l’origine de cette pandémie ?

Vincent Thibault - Plusieurs hypothèses coexistent encore. La plus communément admise aujourd’hui est que ce virus aurait émergé d'une rencontre improbable entre des mammifères sauvages qui ne se côtoient pas habituellement dans leurs milieux naturels respectifs. Le mélange d'espèces animales dans des circonstances artificielles, en l’occurrence le marché Huanan aux animaux sauvages vivants de Wuhan, est un moyen efficace de générer de nouveaux virus capables d'infecter l'homme.

Ce scénario ressemble trait pour trait à ce qui s'est déjà produit en 2002, avec le virus SARS-CoV qui a donné la pandémie connue sous le nom de SRAS. Il s’agissait déjà d’un coronavirus émergent, plus létal mais moins contagieux que celui qui nous occupe aujourd’hui : il a engendré 8 000 cas et provoqué 800 décès au niveau mondial. Cette épidémie a pu être endiguée par l'identification de la source, suivie de mesures d'isolement et de quarantaine. Là aussi, le virus original, présent chez la chauve-souris, est passé chez un mammifère intermédiaire avant d’être transmis à l’homme. En 2002 c’était la civette, pour la pandémie actuelle c’est possiblement le pangolin. Il en est résulté la sélection d'un virus adapté à l'homme, avec la suite que l'on connaît.

© Fan Y. Peng Z. et al., Viruses 01.2019, 11(3), 210

Cette situation n'aurait pas dû se reproduire, les scientifiques chinois l’avaient parfaitement bien analysée et elle était évitable si l’on n’avait pas continué à autoriser la tenue de marchés aux animaux sauvages, qui plus est vivants.

Transmission du virus dans la population française

Q. - Nous disposons maintenant d'une étude épidémiologique de l'Institut Pasteur pour évaluer l'impact du SARS-Cov-2 sur la population française. Que sait-on de la proportion de porteurs sains ?
V.T. - Je ne connais pas d'étude qui ait testé systématiquement tout un groupe de personnes, hors circonstances particulières, à ce jour en France. Ainsi, dans notre pays, on ne sait pas précisément combien de personnes sont réellement infectées asymptomatiques.

À ce propos, je rappelle qu'il faut bien dissocier les personnes infectées d'une part, les personnes présentant des symptômes de l'autre. Ce sont des entités très différentes qu'on a tendance à trop mélanger, et le corps médical le premier. Or cette confusion peut avoir des conséquences préjudiciables.

Q. - Pouvez-vous donc préciser pourquoi il faut bien distinguer personnes infectées et personnes présentant des symptômes d'autre part ?
V.T. - Dans cette infection virale, comme dans la plupart des autres, une certaine proportion de personnes est infectée sans symptômes. Il faut bien les différencier des malades. C'est le cas pour les hépatites que je connais bien : un quart des personnes infectées par l'hépatite C, par exemple, vivront sans jamais développer de maladie.

Pour le SARS-CoV-2, on peut citer les chiffres du porte-avions Charles-de-Gaulle qui sont instructifs : les 2010 marins du navire et de ses bateaux d'escorte ont tous été testés, dans une campagne sans précédent. Sur le porte-avions lui-même, seul une moitié des marins infectés ont présenté des symptômes (environ 500 sur 1 080). La notion d'infection par rapport à la notion de maladie me semble donc primordiale et dépendra largement de la population touchée. On peut penser que les marins du porte-avion étaient relativement jeunes et en bonne santé, mais la situation aurait été très différente sur un bateau de croisière accueillant des retraités. Dans cette dernière situation, le nombre de "malades" aurait largement été supérieur à celui des asymptomatiques.

© Domaine public via Wikimedia Commons

Vu ce chiffre, on comprend l'importance d'évaluer la part de la population qui reste asymptomatique, mais qui peut néanmoins transmettre le virus. Or en France, le cas du Charles-de-Gaulle est exceptionnel sur le plan de l'exhaustivité du diagnostic : à l'inverse de l'Allemagne, nous n'avons pas jusqu'ici pratiqué de test à grande échelle et sans a priori sur le statut des personnes testées (symptomatiques ou non). C'est outre-Rhin que l'Institut Max Planck a lancé une vaste étude épidémiologique de tests systématiques incluant 100 000 citoyens allemands.

Q. - Commence-t-on à avoir des données sur l'immunisation conférée ou non par le virus ? Existe-t-elle pour la durée observable actuellement ?
V.T. - Il serait encore prématuré que je me prononce raisonnablement sur ce sujet, mais les études commencent à paraître.

Q. À propos de l'annonce de réouverture des établissements scolaires le 11 mai, il a été dit que les enfants transmettaient peu le virus. Qu'en est-il ?
V.T. - De premières études(1) sont parues(2). Il est trop tôt pour voir se dessiner un consensus scientifique sur le sujet. Quelques(1) travaux(2) semblent indiquer que les enfants seraient non seulement moins touchés par l'infection, mais aussi moins atteints par des formes sévères. La faible contribution des enfants à la diffusion de l'épidémie démarquerait ainsi le COVID-19 de la grippe qui, elle, diffuse largement chez les enfants. On en saura davantage quand seront publiées les études françaises en cours.

Un virus encore énigmatique

Q. - Que sait-on aujourd’hui de ce virus ?
V.T. - Les techniques de biologie moléculaire ont permis très rapidement d'obtenir la carte génétique du virus. Ces données sont utilisées par des outils tels que Nextstrain qui permettent de suivre la propagation des variantes du virus en temps quasi réel. Cela n'a malheureusement pas permis de limiter la pandémie que l'on connaît. Chaque jour, nous découvrons des caractéristiques nouvelles de cette pathologie, et c'est sans doute la première fois que les données évoluent si rapidement autour d'un agent infectieux.

Je suis parfois perplexe devant les nombreuses prises de paroles au sujet de ce coronavirus, alors que les données que nous avons sont loin d'être consolidées.

Pour moi, il faut accepter nos incertitudes et le fait que nous sommes devant un virus bien adapté à l'homme, pour lequel nos connaissances acquises sur d'autres infections virales ne sont pas forcément applicables.

Q. Quelles observations ont-elles remis en question les hypothèses initiales sur le SARS-CoV-2 ?
V.T. - Les exemples ne manquent pas :

  • on a d'abord pensé que ce virus résiderait de manière fiable et pérenne dans les voies respiratoires supérieures. Or ce n'est pas le cas. [Voir plus bas l'impact sur la sensibilité des tests PCR] ;
  • on a parlé d'"orages cytokiniques" pour caractériser la 2e phase critique de la maladie, or ceux-ci ne rendent pas compte de tous les cas graves ;
  • on sait que le virus attaque les poumons, mais selon les cas des organes très divers peuvent être atteints ;
  • l'éventail très large des formes possibles de Covid-19 fait maintenant penser à des failles de la réponse immunitaire pour les cas les plus sévères : on observe par exemple chez certains patients un déficit en lymphocytes T ;
  • des travaux récents montrent que les patients ne développent pas tous en quantité suffisante des anticorps dits "neutralisants" capables d'éliminer le virus et guérissent autrement ; ou encore, que le taux total d'anticorps peut être corrélé à la gravité de la maladie ;
  • nous commençons à disposer d'études de séroprévalence. Celles-ci nous renseignent sur le nombre de personnes dans la population générale qui ont développé des anticorps après avoir été exposées au virus. Or, la proportion de ces personnes est nettement plus faible qu'estimé initialement, sous les 10% de la population bien souvent, très loin des 60 à 70% qu'il faudrait atteindre pour obtenir une immunité collective ;
  • le facteur de contagiosité R0 initial (hors confinement) a été revu à la hausse : en France on l'estimait à 2,5 en faisant tourner les modèles chinois, cette estimation est montée à 3,3, toujours hors confinement, avec la dernière étude de l'Institut Pasteur. La mortalité, elle, est révisée à la baisse (0,53% en France)...

Bref, vous comprenez pourquoi je suis extrêmement prudent sur les affirmations que l'on peut entendre aujourd'hui sur ce virus !

Je recommande la même prudence face aux modèles à la base de certaines études de caractérisation du SARS-CoV-2. Ils peuvent nous donner une première approche. Cependant ils sont en général construits à partir de ce qu'on sait d'autres virus, certes très proches, mais dont on constate tous les jours les différences avec celui qui nous occupe.

Le rythme des travaux et des publications de recherche sur cette pandémie est extraordinaire ; cela dit le SARS-CoV-2 vient d'émerger et on le connaît finalement encore assez peu.

La contamination et l'infection

Q. En médecine, l'"inoculum" est la quantité minimale d'agent infectieux nécessaire à laquelle on doit se trouver exposé pour être soi-même infecté. Peut-on déterminer cette quantité pour le SARS-CoV-2 ?
V.T. - Sur un virus qui est transmis par voie digestive ou après injection, il est assez simple de déterminer la quantité de particules virales ingérée ou injectée et ainsi de définir la dose minimale infectante.

C'est en revanche beaucoup plus compliqué à déterminer dans le cas d'un virus transmis par voie respiratoire, les paramètres sont trop nombreux : nous émettons chacune et chacun un nombre très variable de postillons, l'humidité et la pollution de l'air jouent, tout comme la profondeur de la respiration... En dehors de modèles expérimentaux chez l'animal, la dose infectante est de ce fait bien plus difficile à déterminer.

Par expérience, on sait que la contamination résulte d'une exposition proche et pendant une durée assez longue. Une des situations les plus simples à analyser scientifiquement est celle des avions : on y connaît précisément les temps d'exposition, les circulations d'air et le positionnement des personnes.

© Domaine public via Wikimedia Commons

C'est également le cas pour les bateaux de croisière ou militaires, et c'est pour cela que la récente étude épidémiologique de l'Institut Pasteur sur la prévalence du SARS-CoV-2 en France croise nos données nationales hospitalières avec celles du Diamond Princess, ce paquebot dont l'ensemble des 3711 passagers a été testé. Dans ces cas précis, il apparaît alors nettement que le risque le plus grand est d'être resté en contact pendant plus d'une heure à moins d'un mètre d'une personne contaminée. Les gouttelettes sont donc les principales sources de contamination, alors que les aérosols ou la circulation d'air n'ont pas semblé jouer un rôle majeur dans la transmission.

Il est aussi établi que le matériel génétique du virus subsiste sur des surfaces inertes, qui sont donc potentiellement infectantes. Quant aux selles, aux urines et au sang, la transmission semble très improbable même si on ne peut l'exclure pour le moment.

Personnellement, si l'on se place sur le plan de la connaissance scientifique, je ne suis pas pour fixer des limites précises à ces durées ou distances de contamination. Cela n'a pas beaucoup de valeur à l'échelon individuel. Vous pouvez être face à une personne qui émet énormément de particules virales. Elle va éternuer une fois devant vous et vous infecter. À l'inverse, il peut être possible de déjeuner en face à face avec une personne infectée sans être contaminé. Il y a tellement de paramètres qui influencent l'infection... les gestes barrières sont la meilleure réponse.

Q. Pour vous donc, on ne peut pas quantifier cet inoculum ni caractériser avec une bonne précision des conditions générales de contamination ?
V.T. - En effet. Mais encore une fois, le plus important dans l'immédiat, c'est d'être pragmatique : les gestes barrières sont conçus pour répondre au plus large éventail de probabilités de contamination, il est absolument impératif de les respecter, c'est ce qui compte pour freiner cette épidémie.

D'autre part, on observe que le confinement fonctionne : le taux de reproduction R0 est tombé de 3,3 à 0,5, entraînant une baisse des courbes de nouveaux cas recensés. Là encore, il faut insister sur l'importance cruciale du respect du confinement.

Q. Et la voie sexuelle ?
V.T. - Je le répète, sachons rester humbles face à ce virus émergent. Rappelons-nous qu'Ebola peut être transmis par voie sexuelle plusieurs mois après l'infection. Pour l'instant, nous n'avons pas d'éléments qui permettent de nous orienter vers une transmission sexuelle du SARS-CoV-2, mais attendons d'avoir un peu de recul et restons vigilants.

Q. - Sait-on exactement aujourd'hui par où le virus entre dans l'organisme ?
V.T. - La voie la plus probable, c'est celle des muqueuses, comme pour de nombreux virus. L'un des récepteurs ciblés par le virus est l'ACE2 qui est présent sur de nombreuses cellules de notre organisme. Donc, en théorie, chaque cellule porteuse de ce récepteur est une cible potentielle d'entrée du virus. Il est aussi possible que le virus ait besoin d'autres protéines pour son entrée dans la cellule, ce qui limiterait le nombre de types cellulaires sensibles à l'infection. Des travaux récents retrouvent les protéines impliquées dans l'infection virale au niveau de la muqueuse nasale, en lien avec les mécanismes de réponse immunitaire innée ; ce tissu constituerait ainsi la cible privilégiée pour l'entrée du virus dans l'organisme.

Q. - La perte du goût, de l'odorat est-elle vraie pour toutes les personnes infectées et donc un signe d'appel au même titre que la toux sèche, la fièvre ? Et qu'en est-il des symptômes dermatologiques ?
V.T. - Il semble en effet que ces symptômes soient très fréquents lors de l'infection par ce virus, on évoque des chiffres entre 70 et 90% d'anosmie et d'agueusie chez les personnes infectées. Encore une fois, attention à tous ces chiffres établis sur des populations ciblées et qui sont sensiblement biaisés dans leur ensemble.

Q. Des signes dermatologiques ont été relevés, connaît-on leur origine ?
V.T. - Je remarque tout d'abord que ces signes n'avaient pas été décrits dans la population asiatique : pourquoi ?
Il ne semble pas que ce soit lié directement au virus mais plutôt à un phénomène immunologique post-infectieux. Certaines anosmie, agueusie pourraient aussi être de nature immunologique post-infectieuse. Nous manquons encore d'études sur ce sujet.

Q. Les hommes semblent nettement plus touchés que les femmes, sait-on pourquoi ?
V.T. - Il faut dissocier sensibilité à l'infection et sensibilité à la maladie, ces deux états peuvent s'expliquer différemment. Sur la différence de sensibilité à la maladie, les chiffres de la base de santé publique GÉODES sont en effet assez clairs et l'étude épidémiologique de l'Institut Pasteur confirme. Je ne pense pas qu'il y ait d'explication formelle pour le moment. Une composante hormonale, peut-être ? Dans l'hépatite B, on retrouve ce phénomène qui s'explique en partie par un récepteur hormonal sur le génome viral. Sur le versant de la sensibilité à l'infection, il semble aussi que les femmes se contaminent moins que les hommes, selon une étude islandaise, mais cela ne semble pas confirmé par des travaux récents.

Q. - Combien de temps est-on contagieux, avant et après les symptômes ?
V.T. - La richesse de la biologie, c'est la variabilité inter-humaine. Des données (1) fraîchement publiées(2) indiquent que le virus est détectable avant les signes cliniques, et au moins 3 jours après l'apparition de ceux-ci. Cette présence de virus explique la transmission virale à partir de personnes asymptomatiques. Après la disparition des symptômes, on sait que des patients peuvent rester positifs pour la détection d'ARN viraux pendant 3 semaines dans certaines séries. Mais le plus souvent, le virus n'est pas cultivable 7 jours après la disparition des signes cliniques. Cela semble indiquer que le risque de transmission devient alors très faible, même si on ne peut garantir à 100% l'absence de contagiosité.

Le dépistage

Q. Quels sont les moyens de dépistage du SARS-Cov-2 ?
V.T. - Selon les besoins et les circonstances, nous en utilisons plusieurs types. Ce qu'il est important de retenir, c'est qu'aucun n'est absolument fiable à 100% : un bon diagnostic se base sur un faisceau d'arguments et non sur un examen pris isolément.

Avec le regard du clinicien, entraîné à déceler des signes évocateurs, il existe la RT-PCR et le scanner des poumons pour détecter une infection en cours, et la sérologie des anticorps IgG/IgM voire IgA pour révéler une infection récente ou plus lointaine. Au laboratoire nous pratiquons la RT-PCR et la sérologie.

© CPIAS Normandie

La RT-PCR permet de détecter le matériel génétique du virus, lors d'une infection. Elle se pratique sur les prélèvements naso- et oro-pharyngés, pulmonaires, sanguins et sur les selles.
Pour la réaliser, une fois le prélèvement reçu au laboratoire, nous procédons par :

  1. inactivation du virus ;
  2. extraction des acides nucléiques ;
  3. amplification du génome viral.

Le temps nécessaire pour obtenir un résultat par RT-PCR varie suivant les techniques. Au début de l'épidémie, ces opérations nécessitaient au moins 4h. On voit maintenant apparaître sur le marché des outils fantastiques qui donnent le résultat en 45 minutes, mais leur disponibilité, limitée, est arbitrée par les fabricants.

En soi, la RT-PCR n'est sensible qu'à 70%, c'est à dire qu'on estime que 30% des personnes testées négatives, par exemple, peuvent en réalité être porteuses du virus. Ce n'est pas lié à un manque de fiabilité de la technique, mais au trajet du virus dans le corps. Contrairement à ce qu'on pensait initialement, le virus n'est pas présent très longtemps au niveau de la sphère naso- ou oro-pharyngée : il peut arriver que selon les individus ou le degré de gravité de la maladie, on ne le retrouve pas sur un prélèvement. Il faut alors s'aider de l'imagerie et de la clinique pour étayer le diagnostic. On peut aussi répéter la RT-PCR à plusieurs reprises si nécessaire.

La sérologie la plus courante recherche dans le sang les taux de deux types d'anticorps, les immunoglobulines M (Ig M) et G (IgG). De manière schématique, les premiers apparaissent plus rapidement au cours de l'infection et diminuent progressivement après celle-ci, tandis que les seconds sont détectés plus tardivement mais persistent après l'infection. Nombreux sont les fabricants qui ont développé leur kit sérologique depuis le début de l'épidémie, avec parfois des doutes sur leur fiabilité technique ou sur leur spécificité (leur capacité à détecter des anticorps dus au SARS-CoV-2 et non à un autre coronavirus). Ceci impose pour ces tests une étape de validation, menée indépendamment de leurs fabricants, avant qu'ils ne soient utilisés en conditions réelles.

Mais même si on exclut l'aléa technique, la variation de la réponse immunitaire d'un individu à l'autre rend délicate l'interprétation de la sérologie. Rien n'exclut par exemple que des personnes infectées, mais restées asymptomatiques, aient si peu développé d'anticorps que leur taux reste en-dessous de la limite de détection : les études récentes réalisées par l'Institut Pasteur le démontrent.

© R. Lienhard - https://www.revmed.ch/RMS/2011/RMS-312/Pieges-en-serologie-infectieuse

V.T. - Si l'on parle de santé publique et d'épidémiologie, la sérologie est très intéressante pour reconstituer a posteriori la circulation du virus dans une population, et évaluer son immunité collective.

Sur le plan éthique en revanche, vu les incertitudes que je viens de pointer, l'utilisation de la sérologie seule pour déterminer par exemple si une personne peut reprendre ou non son travail me paraît problématique, dans l'état actuel des connaissances.

Q. Le déconfinement se prépare, sans que les perspectives soient tout à fait claires encore. Quelle serait selon vous la meilleure stratégie à adopter ?
V.T. - Je citerais l'exemple breton. Nous avons eu des clusters (Auray, Vannes, Bruz...) qui ont été bien contrôlés. Toutes les personnes symptomatiques ont été dépistées et isolées : deux étudiants qui revenaient de Venise, une sage-femme, des sapeurs-pompiers... autant de cas qui auraient pu largement propager l'épidémie, ce qui a pu être évité.

Q. Comment s'organise l'activité du laboratoire de virologie du CHU de Rennes pour faire face à cette crise ?
V.T. - Nous avons mis en place vers la mi-février le test validé par le centre national de référence de l'Institut Pasteur, avec quelques déboires. Nous étions alors le seul centre breton à proposer le diagnostic. Puis la charge de travail s'est rapidement accrue avec les cas groupés autour d'Auray et nous avons dû gérer beaucoup de prélèvement du Morbihan et d'autres régions bretonnes. Le laboratoire de Brest puis celui de Quimper sont venus nous seconder.

Du fait de la pénurie de réactifs des différentes firmes, nous avons été obligés de déployer en parallèle plusieurs stratégies diagnostiques. Face à la masse de travail, nous avons obtenu du renfort des autres disciplines du pôle de biologie du CHU de Rennes. Des techniciens et des aides de laboratoires ont été formés pour renforcer notre équipe. Nous avons étendu nos horaires de travail et ouvert notre service le week-end également.

Q. Pouvez-vous donner quelques chiffres pour donner une idée de votre activité ?
V.T. - Sur une épidémie grippale habituelle s'étendant sur 8 semaines, nous gérons environ 3 500 prélèvements. Pour le SARS-CoV-2, nous en sommes à 8 000 prélèvements sur 4 semaines, dont deux tiers proviennent d'autres centres hospitaliers.

D'ici le 11 mai, dans le cadre d'un effort national, nos capacités seront portées à 2 000 tests par 24h, 7 jours sur 7. Outre sa transmission aux médecins, le résultat devra être communiqué directement à la personne concernée sous 24h pour qu'elle puisse s'isoler au plus vite s'il en est besoin.

Les pistes de traitement

Q. - Vous avez mentionné des études qui ont montré qu'une partie des personnes infectées ne développaient pas suffisamment d'anticorps neutralisants contre le SARS-CoV-2. Comment le vaccin va-t-il être mis au point ?
V.T. - La première solution peut être de jouer sur le choix des protéines, des adjuvants et autres artifices technologiques. L'objectif est que le vaccin présente au système immunitaire les éléments viraux d'une manière qui suscitera la sécrétion d'anticorps neutralisants la plus efficace possible. Et bien entendu, la réponse immunitaire n'est pas seulement basée sur les anticorps (immunité humorale), elle comporte aussi une composante cellulaire que le vaccin peut préparer.

D'autre part, le SARS-CoV-2 est un virus respiratoire. On recherche aujourd'hui les anticorps dans le sérum, mais qu'en est-il de la réponse immunitaire au niveau des voies pulmonaires par exemple ? Pour la favoriser, un vaccin inhalé pourra peut-être se révéler plus pertinent qu'une solution injectée en intra-musculaire.

Le vaccin vient à l'esprit pour une solution à relativement court terme, mais il agira contre un virus déjà connu, et nous connaîtrons probablement l'émergence d'autres coronavirus de ce type.
Il ne faut donc surtout pas négliger la piste des traitements antiviraux, potentiellement actifs contre un type de virus plutôt que contre une souche particulière.

J'ai eu la chance de suivre le combat contre l'hépatite C, depuis l'identification du virus (ou VHC, un virus à ARN comme le SARS-CoV-2 mais au génome plus réduit), jusqu'à la découverte d'un traitement antiviral à action directe en 2014. Je suis donc biaisé sur mon appréciation, mais si je devais parier sur une piste thérapeutique pour le SARS-CoV-2, je m'inspirerais de ce qui a été réussi contre le virus de l'hépatite C.

En l'occurrence, je m'intéresserais aux enzymes polymérases du SARS-CoV-2, qui sont ARN-dépendantes. Ce sont de bonnes cibles et elles présentent des similitudes avec des polymérases connues chez d'autres virus. C'est ce type d'enzymes que l'on a réussi à bloquer pour le VHC, en y insérant des analogues nucléotidiques qui ont montré leur efficacité pour bloquer la réplication du virus. Avec ce type d'antiviral, on aurait le temps de limiter l'apparition des symptômes les plus graves, ceux qui se manifestent en général une dizaine de jours après que la maladie s'est déclarée.

Nous n'avons pas encore ce type d'outil contre des virus de type respiratoire. Si on arrive à le développer, c'est tout un pan de la thérapeutique qui connaîtra un immense progrès.

Cet article a bénéficié du regard informé d'Élodie Dandelot, médiatrice scientifique au Palais de la découverte (Universcience), co-autrice de l'exposition virtuelle grand public "Coronavirus : ce que sait la science"